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Accueil de la bibliothèque > Dictionnaire pratique et historique de la musique par Michel Brennet (1926)

Dictionnaire pratique et historique de la musique
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Piano
Nom masculin, et autrefois piano-forte ou forte-piano, des deux adjectifs italiens piano et forte, sous-entendu clavecin.
Instrument à cordes frappées, à clavier, muni de dispositions mécaniques permettant d'obtenir les diverses nuances, d'où le nom de piano-forte, qui ne fut d'abord que le qualificatif du « clavecin à marteaux ». Celui-ci fut le développement du clavicorde, par l'application au clavecin des marteaux du clavicorde. Il fut inventé presque simultanément au commencement du XVIIIe s. par Bartolomeo Cristofori, à Florence, par Marius, à Paris, par Gottlob Schroeter en Saxe. On s'accorde à considérer Cristofori comme le premier facteur qui ait substitué les marteaux aux sautereaux, d'après le principe du clavicorde, mais frappant les cordes en dessus, et qui ait inventé l'étouffoir. Il fit connaître son invention en 1711 sous le nom de gravicembalo col piano e forte. Marius, qui, en 1716, présenta à l'Académie des Sciences quatre plans d'instruments du même genre, les appelait clavecins à maillets. Schroeter en 1721, présenta à l'électeur de Saxe un système particulier de marteaux appliqué par lui dès 1717 : l'essai de Schroeter fut repris et perfectionné par Gottfried Silbermann (décédé en 1753), facteur d'orgues à Freyberg, en Saxe, qui, à dater de 1720, fabriqua les premiers Hammerclavier, mais qui n'eurent point l'approbation de J.-S. Bach : il fut le premier et principal propagateur de cet ancêtre du piano moderne en Allemagne où les pianos carrés apparurent en 1758.

Zumpe, un des ouvriers de Silbermann, apporta en Angleterre, en 1760, les procédés de son maître. On entendit pour la première fois le piano-forte à Londres en 1767, à Drury Lane theatre, où un certain M. Dibdin accompagna un air de Judith « sur le nouvel instrument appelé le Forte Piano ». L'instrument fut bien accueilli et imité : en 1768, un concert est donné par Harry Walsh en Irlande, à Dublin, pour présenter « l'instrument très admiré, appelé le Forte Piano », et le facteur d'orgues et de clavecins Ferd Weber, l'ami de Haendel, y établit en 1770, la première manufacture de pianos. L'instrument nouveau devint rapidement d'un usage général en Angleterre, où il commença à remplacer le clavecin dans l'orchestre. On signale qu'il existe encore un piano de Weber, daté de 1774. C'est à Londres qu'en 1765 on fit essayer au jeune Mozart un piano à deux claviers, du facteur Tschudi, essai qui ne fut suivi d'aucun succès.

Piano carréLe piano pénétra en France vers 1760, par Londres où sa fabrication fut très active. M. de Briqueville a même cité une mention de vente d'un piano à Paris en 1759. En 1769-1770, Virbès fils, âgé de neuf ans, se faisait entendre à Paris, au Concert spirituel, sur un nouvel instrument à marteaux, espèce de clavecin, « de la forme de ceux d'Angleterre », et qui a été « exécuté en Allemagne suivant les principes de M. Virbès » : celui-ci était organiste à Saint-Germain-l'Auxerrois; il s'occupait activement de facture et travaillait à cet instrument depuis 1766. En 1772, le célèbre, organiste Balbastre présenta lui-même, aux auditeurs du «Concert spirituel », un « nouveau forte-piano augmenté d'un jeu de flûte ». Les annonces de journaux français proposent souvent des pianos depuis 1772 environ; en 1776, ce n'était plus un objet rare. La suprématie dans la facture en France fut promptement acquise par l'Alsacien Sébastien Érard, établi à Paris en 1775, et qui commença, en travaillant avec son frère, par construire ses pianos à deux cordes et à cinq octaves. Il construisit son premier piano en 1777, et ses instruments avaient en peu d'années surpassé tous ceux de France, d'Angleterre et d'Allemagne. Vers 1786, la vogue du piano-forte se trouvant établie, Érard donna plus d'essor à ses inventions; il construisit des pianos carrés à trois cordes, modifia le calibre des cordes, ajouta un double pilote au mécanisme des marteaux; produisit en 1790, des pianos carrés de grand format, en 1796 des pianos à queue à trois cordes et à cinq octaves. Pascal Taskin fabriqua aussi quelques pianos, vers 1786-1790.

Piano droitA cette époque, la mécanique ne comportait aucun système d'échappement, quoique le principe en fût connu depuis longtemps. Les marteaux étaient garnis de cuir : c'est le facteur Pape, d'origine allemande, mais fixé, à Paris, qui revêtit le premier les marteaux de feutre, vers la même époque. Dans un piano de Taskin conservé au musée de Berlin, chaque son est fourni par une seule corde repliée à l'une de ses extrémités, au lieu de deux cordes voisines et séparées; cette corde unique est retenue à son pli par un crochet à vis qui en règle la tension. C'était une invention de Taskin, qui fut reproduite depuis, mais peu répandue. En 1789, Southwell, de Dublin, qui avait succédé à Weber, inventait le piano droit, et l'étendait à six octaves, de fa à fa, en l'augmentant à l'aigu : il lançait son instrument à Londres, en 1793, et s'attirait bientôt les félicitations de Haydn. Backer et Broadwood, importants facteurs londoniens, rivalisèrent avec leurs confrères d'Irlande : ce dernier, qui perfectionna le système de mécanisme suivi par Cristofori et Silbermann, (origine de la mécanique dite « anglaise »), lança à son tour un piano de six octaves, mais de do à do. Dès 1795 ou 1796, l'illustre pianiste Clementi entreprenait de perfectionner l'instrument et, pendant six ans, il se consacra exclusivement à la construction de pianos; il existe encore des pianos de sa marque, dont la firme continua longtemps son exploitation, et l'on vante « l'élégance discrète de leur forme et l'admirable netteté de leur chant », dont « les quelques échantillons survivants ont de quoi nous ravir, aujourd'hui encore » (T. de Wyzewa). A la même époque l'excellent maître de chapelle de la cathédrale de Strasbourg, Ignace Pleyel, dont le poste était supprimé par la Révolution, vint à Paris, attiré peut-être par Séb. Érard (1795), et, après avoir fondé tout d'abord un magasin de musique, se livra, à partir de 1805-1807, à la facture du piano. L. Pleyel apporte à la construction de cet instrument des perfectionnements en partie personnels, en partie empruntés à l'Anglais Broadwood. En 1810, il fait annoncer son piano à tambourin, dans lequel une pédale frappe une membrane avec ou sans grelots; on assurait alors qu' « on ne peut se faire une idée du charme que cette addition prête au piano ». Mais c'est Érard, en 1822, qui atteignit le point de perfection de la facture, par l'invention du mécanisme « à double échappement » qu'il cherchait depuis plus de quarante ans. Dès lors, les factures de Pleyel et d'Érard rivalisèrent, et les maisons de ce nom constituent encore les premières marques du monde.

Dans la fabrication d'un piano moderne, entrent plusieurs bois différents : chêne, hêtre, sapin, noyer d'Amérique, pour le châssis sur lequel sont tendues les cordes; poirier, cormier, charme, érable, pour la mécanique; tilleul, pour le clavier; bois exotiques, pour l'ébénisterie; plusieurs métaux : acier coulé pour le cadre d'une seule pièce qui est l'ossature du piano, fer forgé ou acier pour les barrages, fil d'acier entouré d'un fil de cuivre enroulé pour les grosses cordes, etc. ; plus ébène, ivoire, pour les touches, peau de buffle, drap, pour la mécanique. La tension de toutes les cordes réunies d'un piano peut atteindre une force de 24 tonnes. La justesse du son et la qualité de son timbre dépendent de la tension de la corde et de la distance où le marteau vient la frapper. La qualité du toucher se fait sentir grâce à la sensibilité que donne à la mécanique le système du double échappement. C'est après 1870 que des ouvriers allemands, employés dans les manufactures françaises, transportèrent en Allemagne et en Amérique les secrets d'Érard et de Pleyel, et c'est de cette époque seulement que date la renommée de la facture de piano allemande et américaine.

Le piano, dérivé du clavicorde, influa à son tour sur celui-ci : vers 1720, on construisit des clavicordes « indépendants », à une corde par touche; on leur appliqua ensuite le système des étouffoirs. Mais cela ne suffit pas à sauver le vieil instrument. D'autre part, c'est, dit-on, à l'épinette, que le piano aurait emprunté la pédale de sourdine, dont on fait honneur au facteur Pietro Prosperi, de Sienne, vers 1700. Mais il ne semble pas qu'elle ait été d'un emploi courant. C'est elle sans doute qui forme la caractéristique des clavecins « célestes » de Southwell, en 1779, et on la retrouve sous le même vocable dans les pianos, vers 1830. La pédale senza sordini, qui lève les étouffoirs, n'apparaît pas dans les partitions d'œuvre de piano avant l'op. 40- de Clementi (1795), dans le finale, en pp, et encore n'en use-t-il guère avant 1804, dans la 1re édition de ses Œuvres complètes. Elle apparaît ensuite chez Beethoven dans l'op. 10, n° 1 (1797) dans le pp de la fin de l'adagio, puis dans l'op. 26 (1801) à partir de la variation V, mais le maître ne l'emploie couramment qu'avec son op. 31, n° 2 (1802). La pédale unicorde avec ou sans étouffoir, déplace la mécanique des marteaux, de telle manière que ceux-ci ne frappent plus qu'une seule corde à la fois : on ne la fabrique plus guère, ou on y supplée par la sourdine. Enfin, la pédale de tambourin n'a eu qu'une durée éphémère. Les pianos n'ont plus que deux pédales : la pédale senza sordini à droite, la pédale de sourdine (ou quelquefois, à sa place, la pédale unicorde) à gauche.

Enfin, comme pour un certain nombre d'anciens clavecins, on a fabriqué pour le piano des claviers à pédales, ou pédaliers. Schumann en Allemagne (en 1845), et Boëly, en France, tout au cours de sa carrière, ont écrit des pièces pour piano à clavier de pédales (dernière édition de Boëly, op. 18, 1855).

Il est inutile de souligner la faveur grandissante du piano-forte, dès l'époque de son perfectionnement à partir de 1770 environ. Alors que Voltaire en comparait encore dédaigneusement les sons à ceux d'un chaudron (1774), en les mettant en opposition avec l'exquise sonorité des bons clavecins, les virtuoses prirent peu à peu l'usage du nouvel instrument. Les premières sonates de Haydn, de Mozart, de Clementi, sont encore composées pour le clavecin ; à dater de 1777, on les voit ordinairement porter le titre de « pour le clavecin ou le piano-forte »; peu à peu, le mot clavecin passe en dernier lieu. Beethoven écrit uniquement pour le piano (sa 1re Sonate est de 1795).

En 1822, Cherubini, directeur du Conservatoire de Paris, se montrait déjà effrayé du trop grand nombre d'élèves de piano (41 femmes et 32 hommes) présents à son arrivée; il trouve cette abondance « abusive et pernicieuse », et propose de réduire à 15 ou 20 pour les femmes et autant pour les hommes le nombre des admissions. Un arrêté rendu quelques jours après la date de sa lettre fixa le nombre à 15 élèves et 3 auditeurs femmes, et autant d'hommes (31 mai 1822). La musique de piano se note sur 2 portées, habituellement affectées chacune à une main et se partageant à la fois l'étendue du clavier et le rôle des deux mains. Soit la clef de sol 2e ligne pour la main droite et la clef de fa 4e ligne pour la main gauche. Boëly, dans la 1re édition de ses Caprices (1812), faisait encore usage de la clef d'ut 4e ligne pour certains passages de la main gauche dépassant à l'aigu l'étendue de la clef de fa. Mais, l'usage de la clef d'ut chez les pianistes se perdant, il dut, dans la 26 édition du même ouvrage, y substituer les autres clefs restées usuelles. Pour remplacer la clef d'ut et surtout pour rendre plus claire la disposition harmonique des parties et celle d'une mélodie centrale essentielle, quelques pianistes romantiques commencèrent vers 1830 d'écrire en certains cas quelques mesures sur trois portées : Liszt, Schumann, Henselt. Au début du XXe s., l'écriture de la musique de piano sur trois portées a été de plus en plus fréquente, tant pour distinguer le mouvement des parties, faire ressortir un thème, que pour éviter les lignes supplémentaires à la clef de fa, et faciliter la lecture des passages qui exigent un croisement de mains. Exemples de disposition sur trois portées, dans les Goyescas, de Granados (1912), n° 2 et 4. — Sonate, de d'Indy, op. 63 (1907). Sur quatre portées, Prélude de Rachmaninoff.


Voir aussi: Clavecin, Organiser

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