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Accueil de la bibliothèque > Dictionnaire pratique et historique de la musique par Michel Brennet (1926)

Dictionnaire pratique et historique de la musique
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EC EF EG EI EL EM EN EO EP EQ ER ES ET EU EV EX
Exotisme
Nom masculin.
Nom désignant l'étude et l'emploi, dans les œuvres musicales, de particularités modales, rythmiques ou mélodiques empruntées aux civilisations extra-européennes. Les ballets de cour dansés sous des costumes singuliers, tels que celui du Prince de la Chine (1605), les divertissements du Bourgeois gentilhomme, de Molière, l'entrée des Indiens, dans Le Triomphe de l'amour, de Lulli (1681), ou de la Turquie, dans L'Europe galante, de Campra (1697), ni même Les Indes galantes, de Rameau (1735), qui présentaient aux spectateurs, en des décors somptueux, tour à tour de « jeunes odalisques » et des « Incas du Pérou », une « fête persane » et une entrée fameuse de « sauvages », ne visaient à aucun effet d'exactitude, et, tout comme les poètes et les décorateurs, les musiciens puisaient dans leur propre fonds pour imaginer des dessins mélodiques bizarrement rythmés et qui eussent une allure inusitée.

Un pas fut fait, au milieu du XVIIIe s., vers une imitation plus réaliste, par l'introduction dans les armées européennes de bandes musicales destinées à rivaliser avec la « musique des janissaires », dont parlaient les voyageurs; plusieurs cours allemandes voulurent, après la Russie, posséder des orchestres authentiques de hautbois, de flûtes aigres et d'instruments de percussion, et les pays qui n'adoptèrent pas les instruments à vent s'empressèrent du moins d'accueillir les cymbales, le triangle, et le « chapeau chinois ». Dès lors, on s'accoutuma à regarder toute la musique de l'Orient à travers quelques rythmes sautillants soulignés par un tintamarre métallique.

Mozart, dans L'Enlèvement au Sérail (1782) et tout simplement dans le rondo alla turca de sa Sonate en la majeur, qui est resté populaire sous le nom de Marche turque, fixa pour près d'un siècle les formules vives et légères d'un vocabulaire musical entièrement conventionnel, et propre presque uniquement au genre bouffe. Le succès du Désert, de Félicien David (1844), fut dû en majeure partie à l'à-propos et à la nouveauté de quelques mélodies rapportées ou inspirées de l'Egypte, et qui correspondaient aux mouvements de l'opinion et des arts, à la suite de la conquête de l'Algérie; la mélopée du Muezzin laissait entrevoir l'intérêt de curiosité que pourraient susciter les mélodies arabes ou orientales.

Les Expositions Universelles, renouvelées de décade en décade à Paris (1867, 1878, 1889, 1900), en faisant une place de plus en plus large aux manifestations variées de la vie coloniale, permirent en effet aux musiciens de la métropole de s'initier tant bien que mal aux caractères généraux des arts de chaque race, et tout d'abord sans doute d'apprécier l'incompatibilité de la plupart des musiques exotiques avec notre oreille, notre système tonal et nos instruments, car les essais d'acclimatation ou de naturalisation qu'ils tentèrent furent très rares. La belle Rhapsodie cambodgienne de Bourgault-Ducoudray (1890), où sont introduits quelques fragments thématiques et imités les effets de percussion des pierres sonores, le 5e Concerto de piano, de Saint-Saëns (1896), dont le second morceau repose sur des souvenirs musicaux rapportés des bords du Nil, sont des exemples de ce que l'on pourrait appeler l'exotisme direct.

Les compositeurs russes, et principalement Balakirev, Borodine et Rimski-Korsakov donnèrent l'impulsion à un genre plus libre et que les affinités du monde slave avec l'Asie les préparaient à créer; l'exotisme, chez eux, se traduit par un mélange intime de rythmes et de sonorités empruntées aux traditions des peuplades limitrophes, avec les formes et les procédés de l'art européen. C'est en ce sens et quelquefois par leur intermédiaire que l'exotisme musical est apparu chez les compositeurs occidentaux comme une source d'enrichissement et de rajeunissement pour un art en apparence parvenu au seuil de l'épuisement. Il n'était dès lors plus nécessaire d'en allier invariablement l'emploi à des sujets d'opéra ou à des programmes descriptifs qui fussent eux-mêmes exotiques, et l'emploi de gammes étrangères à notre tonalité pouvait se justifier par le seul fait de leur diversité et de la nouveauté des effets que l'on pouvait en obtenir.

La gamme pentaphonique, que les Chinois constituent de plusieurs manières, mais en la privant toujours de la quarte et de la septième, et qui se retrouve chez les Japonais, chez les Indiens, d'Amérique et dans quelques chants celtiques et gaéliques, restés traditionnels dans les Iles Britanniques, la gamme de six sons par tons entiers, à laquelle A. Coquard, puis Debussy ont donné la forme suivante :

La gamme mineure avec quarte augmentée, que Aug. Chapuis a traitée dans une Suite pour piano sur la gamme orientale, tendent à s'introduire, comme des néologismes qui permettent l'expression de faits nouveaux ou d'idées renouvelées, sans rien supprimer ni détruire du vocabulaire existant. On peut se rappeler, à propos de l'exotisme musical, quelle révélation a été, dans le domaine des arts du dessin et principalement du paysage et de l'ornement, la connaissance des œuvres de Hokusaï et des estampes japonaises, et quelle influence discrète et féconde elle a exercée chez nous, dans les arts décoratifs.


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