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Accueil de la bibliothèque > Dictionnaire pratique et historique de la musique par Michel Brennet (1926)

Dictionnaire pratique et historique de la musique
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Harmonie
Nom féminin.
1. Art et doctrine de la formation et de l'enchaînement des accords. Inconnue du monde antique, l'harmonie a pris naissance dans la France septentrionale et l'Angleterre à l'époque de la floraison du chant grégorien, auquel elle servit d'abord d'ornement. Ses premières manifestations, connues sous le nom d'organum, décrites au IXe s. par Hucbald, moine de Saint-Amand, consistaient en successions d'octaves et de quintes, qui étaient un simple renforcement des premiers sons harmoniques. La « voix organale » les mélangeait au puissant unisson du chœur où ils se perdaient, comme se perdent dans la sonorité du « grand jeu » les redoublements semblables des jeux de mixture et de fourniture de l'orgue. Ces réalisations en quelque sorte instinctives d'effets dictés par la nature conduisirent les musiciens du moyen âge à faire l'essai d'autres intervalles, qu'ils employèrent tantôt par séries uniformes, comme les suites de tierces ou de sixtes du gymel britannique, et tantôt en les faisant alterner d'après des formules que l'on cherchait à régulariser. Il est difficile de jalonner par des dates et des faits précis ce long travail historique.

Vers 1185, Girald de Cambrie signale l'usage du chant en harmonie, à plusieurs voix, chez les habitants du nord de l'Angleterre et quelques témoignages plus anciens mentionnent entre autres l'exécution de chants semblables dans un cortège accompagnant Thomas Becket, en 1159. Mais ces récits ne laissent pas deviner le genre de ces harmonies. L'usage du chrout, ou vièle primitive dont la table sans chevalet ne permettait pas à l'archet d'attaquer les cordes séparément, avait pu contribuer à accoutumer l'oreille des Bretons à la simultanéité de deux ou plusieurs sons, de même que l'introduction dans les églises des premières orgues à soufflets, sans servir à l'accompagnement des voix, pouvait mettre les chanteurs sur le chemin des associations d'intervalles. Aux XIIe et XIIIe s., maître Léonin et ses successeurs au chœur de Notre-Dame de Paris, maître Pérotin et Robert de Sabilon, cultivent déjà en véritables artistes l'organum renouvelé et le déchant, qui est la superposition de deux ou de trois mélodies, indépendantes l'une de l'autre, mais réunies par la coïncidence des accords.

La grande affaire, pour les théoriciens, est bientôt de classer ceux-ci et d'en établir la nomenclature. Ici, comme en toutes les directions de la littérature ou des arts, la théorie est postérieure à la pratique. Elle ne peut résulter que de l'observation des faits acquis par l'esprit d'initiative des compositeurs, que par une tendance continue elle semble cependant sans cesse s'efforcer d'enrayer. S'il est vrai que parfois un auteur plus hardi sait prévoir un progrès à venir, et que Marchetto de Padoue, dès le XIVe s., aperçoit l'identité d'un intervalle et de son renversement, en général les auteurs de traités s'attachent à fixer comme d'une manière définitive les règles que le compositeur ne devra pas enfreindre. Tout un système de chaînes et de rets l'entoure, à l'époque même où prennent leur essor l'harmonie et le contrepoint : sévère classification des intervalles en consonances et dissonances, obligation absolue de la préparation et de la résolution des dissonances, défense de faire succéder 2 consonances parfaites semblables, interdiction de se servir d'intervalles mélodiques éloignés, réglementation du mouvement des parties qui doivent en chaque cas procéder en un sens déterminé : autant de principes, laborieusement déduits, qui sont demeurés le noyau de l'enseignement élémentaire de l'harmonie.

Au moyen âge s'y ajoutaient les règles du Modus, ou division rythmique de la phrase musicale d'après des formules métriques, dont les maîtres de la polyphonie vocale aux XVe et XVIe s. secouèrent le joug pour ne plus reconnaître d'autres lois que celles du développement musical. Héritiers directs des déchanteurs, on désigne de préférence ces maîtres sous le nom de contrepointistes parce qu'ils excellent dans la coordination de parties mélodiques superposées qui conservent chacune une marche propre et une liberté apparente et qui se réunissent sans se subordonner visiblement l'une à l'autre. Mais il n'est point de contrepoint sans harmonie, puisque des successions d'accords résultent de la rencontre voulue des voix. étagées sur des plans parallèles. Aussi l'antagonisme de l'harmonie et du contrepoint n'a-t-il jamais été absolu, et sans parler du soin qu'ils ont pris constamment de conformer le mouvement des parties aux exigences de ce qui passait en leur temps pour les lois véritables de l'orthographe harmonique, on voit souvent les plus habiles contrepointistes se plaire à introduire dans leurs œuvres le contraste d'épisodes formés d'une succession d'accords pleins, en contrepoint note contre note, ou, comme l'on dit aujourd'hui, en écriture verticale, qui viennent interrompre le discours polyphonique en écriture horizontale et le tissu compliqué des réponses canoniques. Des morceaux tout entiers sont même composés dans ce style, tels que le célèbre O salutaris de Pierre de la Rue, le Tu solus qui facis mirabilia de Josquin Després, certaines chansons de Claudin de Sermisy, de Jannequin, d'Orlando de Lassus, et presque tous les psaumes harmonisés à 4 parties, avec la mélodie à la partie supérieure, de Goudimel (1565) et de ses émules. Ainsi se crée une manière d'écrire spéciale aux pièces de destination populaire, chansons à danser, cantiques, psaumes, où l'individualité des parties disparaît devant l'unique suprématie d'une mélodie conductrice, à laquelle, comme au temps de l'organum, mais sous des formes riches et variées, l'harmonie se trouve asservie.

Cette évolution se trouve favorisée pendant le XVIe s., par la vogue universelle du luth, sur lequel on transporte les œuvres vocales polyphoniques, mais sans pouvoir leur conserver, ni dans la notation en tablature, ni dans l'exécution, leur style contrepointique, qui se trouve étrangement détourné de son sens et remplacé par des alternatives d'accords pleins, de dessins mélodiques et de petits ornements. Les altérations accidentelles, sous-entendues dans la notation des parties vocales, se révèlent dans la tablature et fixent sur de nouvelles bases les formules décisives des cadences et d'une façon générale le rôle et l'emploi des accords.

En même temps, les essais de chromatisme que tentent les compositeurs de madrigaux, Cyprien de Rore, Luca Marenzio, marquent une tendance à envisager plus particulièrement les problèmes de la tonalité. Les sensations auditives nouvelles qu'on y découvre, sont aussitôt mises à profit sous le rapport expressif par les auteurs de monodies et d'opéras, entre lesquels Monteverdi innove avec une hardiesse extrême. Sous cette impulsion s'accomplissent des changements étroitement reliés entre eux : la substitution du chant à voix seule, accompagné d'une basse plus ou moins chargée d'accords, au chant polyphonique; l'abandon du style contrepointique, que remplacent des parties harmoniques entièrement soumises à une mélodie prédominante ; la transformation de la tonalité, opérée par l'effet de cette conception du rôle des parties, et qui, en rejetant le système plural des anciens modes, s'établit fermement sur le majeur moderne et son dérivé mineur, en faisant osciller bientôt tout l'équilibre de l'harmonie sur les deux accords essentiels de la tonique et de la dominante. Les praticiens de l'accompagnement hâtent cette transformation, en réduisant le choix des accords à quelques formules stéréotypées qui peuvent se noter par des chiffres abréviatifs. (Voyez Basse chiffrée, Chiffrage.)

L'opposition de certains maîtres attachés aux anciens modes se maintint cependant jusque dans le XVIIe s. Auxcousteaux se fit traiter de « fieffé pédant » pour son attachement aux formes sévères dont il avait donné d'admirables spécimens dans ses Quatrains sur les vers de Mathieu (1643). Mais Roberday, tout en conservant dans ses pièces d'orgue (1660) les traditions de la polyphonie, revendiquait le droit d'innover en disant que, si « l'ouvrier ne doit jamais sortir des règles de son art », on doit avouer « que la musique est inventée pour plaire à l'oreille et que par conséquent tout ce qui se trouvera estre agréable à l'oreille doit toujours estre censé dans les règles de la musique ». Les compositeurs, pendant une longue période de temps, usent peu de cette liberté et leurs innovations portent moins sur l'harmonie que sur les autres éléments du langage musical. Lulli, à la fin du XVIIe s., fixe la forme des chœurs d'opéra, masses pesantes et majestueuses, aux mouvements symétriques et prévus, et celle des interventions harmoniques dans le récitatif et les airs. C'est dans la musique instrumentale que se perpétuent les traditions du contrepoint et de 1' « écriture horizontale » (ex. A)

Bach, qui les porte à leur maximum de beauté et de science, semble rester à l'écart du courant nouveau qui porte les musiciens vers l'étude de l'harmonie et de 1' « écriture verticale » (ex. B.); il contribue cependant fortement à en assurer le progrès, en travaillant à l'adoption du tempérament et à l'ordonnance des modulations qui amènent dans un ordre régulier les accords caractéristiques de chaque tonalité. Son œuvre reste cependant, pour plus d'un siècle, presque totalement ignorée et sans influence réelle sur la direction des idées artistiques et sur les travaux des compositeurs et des théoriciens, que préoccupent surtout la pratique de l'accompagnement, et la coordination des accords qui s'y produisent et qui soutiennent la mélodie tout en lui obéissant.

En 1722, le Traité de l'harmonie de Rameau ouvre aux regards des musiciens des horizons nouveaux, en même temps qu'il attire sur la théorie musicale l'attention d'une portion du monde savant. Rameau y pose les prémisses d'un système qu il développera en d'autres écrits et que dès l'abord il déclare fondé sur « les principes naturels », c'est-à-dire sur les données acoustiques fournies par le partage de la corde vibrante, les rapports des sons et l'existence des sons harmoniques, toutes matières que les travaux encore récents du physicien Sauveur avaient proposées à l'étude des « philosophes ». Tous les degrés de la gamme diatonique étant reconstruits par le rapprochement des sons fournis par la résonance du corps sonore, Rameau met en fait que « la mélodie naît de l'harmonie »; pour adapter sa théorie à des buts pratiques, il établit une classification des accords, considérés en eux-mêmes et d'après leur relation avec ceux qui les précèdent ou les suivent, desquels ils dépendent ou qu'ils commandent, par anticipation, supposition, suspension, prolongation ; il entreprend enfin d'établir entre eux un lien rationnel et fixe, par l'artifice de la basse fondamentale, devenu par la suite à ses yeux comme à ceux de ses commentateurs, la clef de voûte de sa doctrine. Rendu accessible à tous par l'abrégé qu'en fit paraître d'Alembert (1752), le système de Rameau trouva en Marpurg un propagateur allemand (1762), et inspira le Traité des accords de l'abbé Roussier (1764), le Dictionnaire des accords, etc.

Tout le « secret » de la composition paraissait désormais reposer sur l'agencement des intervalles en combinaisons simultanées. En tous pays, de nombreux ouvrages parurent pour l'enseigner ou pour en proposer des explications et des classifications personnelles. En Italie, Tartini passait pour avoir le premier découvert le phénomène des sons harmoniques, dont les traités de Valloti (1779) et de Sabbatini (1789-1790) développaient les conséquences fécondes, ce dernier même d'une façon en quelque sorte prophétique, puisqu'il envisageait la formation d'accords parfaits avec neuvième, avec onzième ajoutées, dont l'emploi ne devait être tenté qu'au début du XXe s. En Allemagne, après Marpurg, apparaissaient les professionnels de la pédagogie musicale, Sorge, Kirnberger, Vogler, Knecht, Gottfried Weber et leur descendance jusqu'à Œttingen, Riemann, Jadassohn, chacun avec son système et peut-on dire, son lexique harmonique. En France, à l'époque de la fondation du Conservatoire, le sceptre de cet enseignement passa des mains des héritiers de Rameau a celles de Catel, dont le Traité d'harmonie (1802) resta longtemps en quelque sorte officiel, avant d'être remplacé par celui de Reber (1862), que continuent les ouvrages de Durand et de Dubois, celui-ci complétant le traité de Reber.

La tradition établie dans l'enseignement place l'étude de l'harmonie après celle du solfège supérieur et avant celles des formes développées du contrepoint et de la fugue; on appelle harmonie élémentaire ou harmonie consonante un premier degré d'enseignement pendant lequel l'élève est exercé à écrire à deux, puis à trois et enfin à quatre parties, en s'astreignant à des règles étroites quant à la marche des parties, à leur superposition, au choix et à l'enchaînement des accords produits par leur réunion; certains manuels résument en tableaux analogues à ceux d'une page de Barème les combinaisons d'intervalles à employer en chaque cas et beaucoup de traités ne sont en définitive que des recueils de formules permises ou défendues, analogues aux listes de « dites  » et « ne dites pas » jointes aux anciennes grammaires. Les modèles en sont d'ordinaire imaginés par l'auteur même du traité et pas plus que les « devoirs » d'élèves rédigés à leur instar, ils n'offrent d'intérêt artistique; ils servent, comme les énumérations de « mots d'usage », à enseigner comment s'écrivent isolément les locutions courantes du langage musical.

Un second degré d'enseignement concerne l'harmonie dissonante ou harmonie chromatique dans laquelle sont admises la modulation et les altérations
accidentelles ; on le subdivise parfois en harmonie dissonante naturelle, comprenant les accords qu'il est permis d'employer sans préparation, et harmonie. dissonante artificielle, où la préparation est exigée. Mais toutes ces barrières sont factices et à tout moment de l'histoire musicale, le génie d'un compositeur peut les renverser et obliger les pédagogues à en établir de nouvelles, un peu plus loin.

Stationnaire pendant le XVIIIe s., et très lente au XIXe, l'évolution de l'harmonie s'accomplit au début du XXe s si rapidement qu'en peu d'années, des doctrines considérées comme hardies, se trouvent presque surannées. Comme pour toutes les autres branches de l'art musical, l'étude et l'enseignement de l'harmonie doivent donc reposer sur des fondements historiques. Tel fut le principal mérite du Traité d'harmonie de Fétis (1824, 9e édition, 1867) qui, empreint du pédantisme dogmatique habituel à ce musicologue, faisait du moins place pour la première fois à un résumé chronologique des précédents ouvrages sur les mêmes matières et tel est aussi l'une des caractéristiques du beau Traité d'harmonie de Gevaert (1907), dont, contrairement à la méthode ordinaire, presque tous les exemples sont puisés dans les œuvres des compositeurs de toutes les écoles, ou dans le répertoire du chant liturgique ou du chant populaire.

Wagner, musicien révolutionnaire sous le rapport des formes générales, de la mélodie, de l'instrumentation, apparaît comme purement classique et héritier direct de Beethoven, dans le domaine de l'harmonie; il en emploie les ressources à des intentions expressives et descriptives et ce n'est pas par les sonorités imprévues d'accords nouveaux qu'il subjugue l'oreille de ses auditeurs, mais par leur plénitude et par la rigueur de leurs enchaînements, qui rejette la fréquence des repos et des cadences parfaites. C'est chez les musiciens français des dernières années du XIXe s. et du commencement du XXe que s'est dessiné le mouvement novateur bientôt partout propagé et qui inaugure une période nouvelle de l'art d'écrire la musique. Gabriel Fauré et Ernest Chausson ont été les premiers pionniers de la route dont Claude Debussy a ouvert les portes toutes grandes et où se sont élancés ou aventurés Maurice Ravel, Florent Schmitt, Albert Roussel et leurs rivaux. En reconnaissant dans les innovations de ces maîtres une extension de l'emploi des sons harmoniques poussée jusqu'aux degrés les plus éloignés de leur échelle, on les rattache logiquement à la même lignée dont étaient issues les premières diaphonies du moyen âge et la théorie de Rameau sur le corps sonore. On découvre en même temps dans la répercussion du chromatisme et des essais de constitution d'une gamme par tons entiers ou d'autres gammes dissidentes, sur la structure et la liaison des accords, l'effet d'une évolution semblable à celle qui substitua, aux XVIe-XVIIe s., la tonalité moderne à l'ancienne modalité ecclésiastique.

Un compositeur viennois, Arnold Schönberg, dans ses œuvres musicales, et dans un Manuel de la théorie de l'harmonie (1911), a poussé cette évolution à ses conséquences extrêmes en se présentant comme l'inventeur d'un système atonal et le libérateur d'un art « sans limites, sans dogmes et sans exceptions », ou subsistent l'usage de la gamme tempérée et les formes graphiques de la notation, mais où les procédés rythmiques, mélodiques, harmoniques et contrepointiques ne sont plus assujettis à d'autres lois qu'à la possibilité de les exprimer.

2. On appelle harmonie ou musique d'harmonie un orchestre civil ou militaire d'instruments à vent, la plupart à anche, en bois et en cuivre, et d'instruments de percussion. La diversité de composition numérique et les variantes remarquées de l'un à l'autre de ces corps de musique quant au choix des instruments appelés à en faire partie, ayant à la longue paru nuisibles à leur fonctionnement ainsi qu'à leur répertoire et aux intérêts du commerce de musique, le Congrès d'histoire et de théorie musicales tenu à Paris en 1900 proposa l'adoption d'une organisation fixée d'après 2 types, l'un de 66 instruments, pour les orchestres dits harmonie, l'autre de 49 pour ceux appelés fanfares. Ces 66 instruments se trouvent répartis en six groupes :

I, une petite flûte, 2 grandes flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais facultatif, 2 bassons, 1 sarrussophone;
II, 2 petites et 15 grandes clarinettes;
III, 8 saxophones, dont un soprano facultatif;
IV, 2 trompettes, 2 cornets, 3 cors, 4 trombones;
V, 16 bugles;
VI, percussion, 5 instrumentistes, dont un facultatif.

On estimait en 1912 à 1800 le nombre des musiques d'harmonie civiles existant en France. Elles sont pour la plupart subventionnées par les municipalités. Des concours sont de temps en temps institués entre elles et fournissent l'occasion de fêtes et agapes populaires. Leur répertoire d'un ordre en général inférieur s'alimente, comme celui des corps de musique militaires, des transcriptions de fragments d'opéras et d'opérettes, de musique de danse et de morceaux composés par leurs chefs ou leurs solistes.


Voir aussi: Basse, Chiffrage, Contrepoint, Fanfare, Organum

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