Dictionnaire de Métronimo | |
Dictionnaire pratique et historique de la musique | |
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D'origine orientale fort ancienne, le luth fut importé en Europe à l'époque des croisades et devint promptement un instrument privilégié. Le nombre des mentions ,qui en sont faites et des représentations figurées qu'on en rencontre dans les monuments des arts plastiques, depuis le XIIIe s., témoigne de la vogue dont il jouissait dès cette époque et qui s'accrut rapidement. La beauté des instruments, ornés d'incrustations et de rosaces finement découpées, dont Memling et ses contemporains ont laissé des images aussi précises que nombreuses, et que les peintres, jusqu'à là fin du XVIIe s., placent volontiers dans leurs tableaux d'intérieurs, montre le soin que prenaient les luthiers pour établir des instruments dont l'élégance dénote la destination aristocratique et que leur sonorité délicate destinait aux concerts intimes.
Monté à l'origine de 4, puis de 6 cordes, le luth, pour acquérir plus de puissance, fut muni de cordes doubles, ou chœurs montés par paires à l'unisson. Le développement de son rôle dans l'accompagnement, à la fin du XVIe s., fit désirer une augmentation de son étendue au grave et suggéra l'invention de l'archiluth, du chitarrone et du théorbe qui étaient des luths agrandis, pourvus d'un manche de très grandes dimensions. Le luth théorbes, que connaissaient Prætorius (1619) et Mersenne (1636) comportait seulement un cheviller supplémentaire ajouté latéralement et supportant quelques cordes graves qui passaient en dehors du manche et se pinçaient à vide. Auprès de ces instruments, le luth proprement dit restait en usage avec une tendance à l'enrichissement par l'augmentation du nombre des cordes. Au temps de Perrine (1680), il était communément monté de 20 cordes disposées en 11 chœurs, la chanterelle et la seconde corde étant simples, les trois suivantes doublées à l'unisson et les six dernières accordées par paires à l'octave. Ainsi monté, l'instrument possédait une étendue de 4 octaves. Sous la surcharge des cordes, dont le nombre fut parfois porté jusqu'à 24, il arrivait que la table se rompît. Leur multiplicité ajoutait aux difficultés de l'accord, qui avait souvent varié au cours des temps. On ne saurait préciser ce qu'il fut à l'origine : l'éoud oriental, qui a donné naissance au luth, est accordé par une série de quartes et quintes alternées. Nous ne savons rien sur l'accord du luth au moyen âge.
Pendant le XVIe s., on le pratiquait constamment sous les deux formes :
En 1600, Francisque se sert en outre sur un luth augmenté d'une corde à l'aigu et de deux cordes au grave, d'un accord « à cordes avalées » qui est une modification du précédent accord « par bécarre », les 3e, 4e et 5e chœurs étant abaissés (avalés) d'un ton :
En 1680, Perrine enseigne deux manières d'accorder qui sont à la distance d'une quinte et concernent deux luths à onze chœurs de patron différent. La seconde se maintient jusqu'à la fin de la culture du luth. Elle est enseignée par Baron, en 1727 :
Cette diversité compliquait la lecture des morceaux notes en tablature, puisque ce système de notation reposait sur la figuration du doigté et non sur celle des sons. L'abandon du luth au XVIIIe s. peut donc être attribué en partie aux difficultés de son accord, de son jeu et de sa notation, mais il fut plus généralement motivé, dans le monde des artistes, par les progrès du clavecin, et dans celui des amateurs, par la tendance au moindre effort et la préférence marquée aux moyens les plus faciles d'acquérir une apparence de talent. Lorsque la vogue de la vielle à roue s'établit dans les salons, quantité de beaux luths anciens, de ces « luths de Bologne, à neuf côtes », auparavant si recherchés, furent dépouillés de leur manche et recoupés pour servir à fabriquer les jouets à la mode. Ainsi s'explique la rareté actuelle des spécimens intacts de luths de la belle époque, dans les musées et les collections. Jusqu'à la fin du XVIIe s., ils figurent fréquemment dans les tableaux d'intérieur des peintres de toutes les écoles. A l'époque moderne, l'oubli dans lequel est tombé le luth se constate par les méprises des littérateurs et des artistes, qui n'en connaissent plus que le nom et qui, tantôt le confondent avec la mandoline et tantôt le croient joué avec un archet.
Cet instrument, peut-être trop délaissé, a cependant joué dans l'histoire de la musique un rôle considérable, non seulement par l'usage universel qu'on en a fait pendant plus de deux siècles, mais par l'influence qu'il a exercée à l'époque où le style de composition harmonique et la mélodie accompagnée tendaient à se substituer au style contrepointique. Ni les possibilités du jeu à cordes pincées, ni l'aspect de la notation spéciale en tablature qui en était l'image graphique, ne se prêtaient à rendre les tenues des sons, les réponses et les entrelacements de parties d'une œuvre contrepointique. Au contraire, il était aisé de soutenir d'accords nourris un dessin mélodique orné ou d'envelopper d'un riche entourage sonore le chant d'une voix principale. Dès le début du XVIe s., les transcriptions littérales de chansons et de motets polyphoniques qui abondent dans les livres de luth présentent ces morceaux sous un aspect entièrement transformé, quant à leur effet visuel et auditif. C'est là que se rencontrent les exemples les plus clairs de l'opposition entre l'écriture verticale et l'écriture horizontale. Auprès de ces transcriptions et des petites pièces de danse, les œuvres des premiers compositeurs pour le luth, Petro-Paulo Borrono, de Milan, Francesco, de Milan, Albert de Ripe, de Mantoue, Perino, de Florence, le Français Guillaume Morlaye, le Transylvain Valentin Bacfarc, etc., contiennent des Fantaisies et des Ricercari qui prennent rang, auprès des œuvres d'orgue du même temps, parmi les premiers monuments de la musique instrumentale.
En 1603 J.-B. Besard, de Besançon, réunit dans un recueil célèbre intitulé Thesaurus harmonicus, un grand nombre de pièces de tout genre, de 20 luthistes de diverses nationalités. Dans la première moitié du XVIIe s., une école brillante se forme à Paris, autour de Ch. Mouton et des trois Gaultier, Jacques, Denis et Ennemond. A cette époque, les transcriptions sont abandonnées et le répertoire, conforme à celui des autres instruments, se composait de pièces enfermées dans les cadres habituels de l'allemande, de la courante, du menuet et des autres formes dérivées de la danse, groupées ou non en « suites », avec des préludes non mesurés, faits de grands arpèges et de roulades par lesquelles le virtuose semblait « tâter les cordes », de son instrument. La multiplicité des agréments servait, comme dans le jeu du clavecin, à corriger la brièveté des sons de la corde pincée, que des formules variées de trille, de tremblement et de grupetti, paraissaient prolonger. Ainsi que les maîtres du « goût du chant », les luthistes attachaient la plus grande importance au placement et à l'habile exécution de ces petits ornements, qui donnaient à leur jeu et à leurs œuvres un caractère singulier de légèreté, de délicatesse et de mièvrerie. L'Allemand Baron, en 1727, consacra encore au luth un ouvrage semi-historique et semi-théorique. Mais les trois Sonates de Falkenhagen, publiées en 1740, paraissent être les dernières compositions destinées à cet instrument.
Lorsque Richard Wagner, dans Les Maîtres chanteurs (1868), voulut mettre aux mains du personnage par lequel il entendait représenter l'esprit de routine, un instrument ridicule et démodé, il n'imagina rien de mieux que de choisir le luth, et comme aucun musicien moderne ne se trouvait en état d'en tirer même quelques arpèges, un habile facteur français construisit pour y suppléer, un instrument nouveau, la harpe-luth (voyez ce mot).
L'intérêt que manifeste aujourd'hui la musicologie pour les œuvres des luthistes, dont on commence à reconnaître l'importance historique, en ramènera quelque jour l'étude sur le terrain pratique et fera rendre au luth la place qui lui est due dans les concerts de musique ancienne.
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