Art de distribuer les parties d'une composition harmonique entre différents instruments, de manière à l'enrichir des ressources de coloris que présentent les timbres particuliers à chacun. Cet art est relativement récent. Bien que l'on soit assuré par les témoignages contemporains du soin que prenaient les anciens compositeurs, et notamment Monteverdi, pour l'instrumentation de leurs ouvrages dramatiques, ils ne la mettaient pas souvent par écrit, mais l'organisaient selon les disponibilités de l'orchestre dont ils disposaient. L'usage de la basse continue et la latitude laissée aux exécutants quant à son développement et à sa distribution entre un plus ou moins grand nombre d'instruments, maintint jusque dans le XVIIIe s. un point de vue très différent du nôtre à l'égard de l'importance expressive et technique de l'instrumentation. Les airs avec accompagnement obligé, dans lesquels un ou deux instruments, traités en solo, se détachent de l'orchestre, pour dialoguer avec les voix, démontrent à quel point les maîtres, cependant, et Bach en particulier, dans ses
Cantates, savaient pénétrer l'esprit propre à chaque timbre instrumental, et mettre en relief ses ressources. Curieux de tous les agents sonores qu'il peut, à un jour donné, trouver à sa portée, Bach semble se plaire à en essayer les couleurs en les associant séparément tour à tour à la voix, selon que le texte appelle une traduction musicale plus pathétique ou plus sentimentale, plus véhémente ou plus mélancolique. Il contribue ainsi puissamment à fixer le
symbolisme de l'instrumentation, que les compositeurs d'opéra développent en même temps dans un sens plus complexe et plus réaliste. Déjà chez Lulli l'instrumentation se fait l'auxiliaire de l'expression et certaines acceptions se fixent en raison du caractère propre à chaque timbre : la flûte accompagne les airs de sommeil, les songes heureux, le hautbois localise une action champêtre, la trompette annonce les entrées de guerriers et les airs de triomphe. Ce sont les couleurs fondamentales du prisme que fait chatoyer Rameau d'une main plus légère et plus hardie et qu'enrichissent de jour en jour les maîtres de l'art dramatique, de telle sorte que les progrès de l'instrumentation apparaissent comme un résultat des transformations successives du style d'opéra, puis de la création du style symphonique et des tendances modernes de celui-ci vers la musique descriptive et la symphonie à programme.
Le premier grand traité de l'art de l'instrumentation et de l'orchestration a pour auteur le musicien qui incarne ce genre à l'époque romantique, Hector Berlioz, et qui incarne aussi, dans la même période, le génie du coloris instrumental. Ce traité, publié en l848, est resté classique. Lors de sa réédition en Allemagne, Richard Strauss y a joint un supplément composé d'après les œuvres de R. Wagner et les siennes propres. Les traités de Gevaert (1885), de Widor (1893), celui de Parès (1897), spécial aux orchestres militaires ou civils d'instruments à vent, et celui de Rimski-Korsakov (1910) entièrement établi sur des exemples tirés des compositions de ce maître, offrent un tableau complet des ressources modernes de l'instrumentation et de l'usage qu'en savent faire les auteurs contemporains.