Dictionnaire de Métronimo | |
Dictionnaire pratique et historique de la musique | |
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En Jean-Sébastien Bach (1685-1750), se personnifie pour ainsi dire le genre de la fugue, qu'il a porté à ses limites de puissance et dont il a adapté les expressions, comme sa langue naturelle, à toutes ses œuvres. Partout il s'est servi de la fugue et de ses procédés techniques « comme d'une forme vivante, d'un langage plus sévèrement écrit, mais d'où le mécanisme du style n'a pas banni les pensées » (Pirro). Dans les deux dernières années de sa vie, il sembla vouloir léguer à ses successeurs les sécrets de sa science, en rédigeant l'ouvrage fameux intitulé L'Art de la fugue, qui contient 13 fugues et 4 canons construits sur un thème unique, développé, transformé et combiné avec des thèmes secondaires :
La dernière fugue est inachevée; Bach y travaillait lorsqu'il fut atteint de la cataracte et perdit la vue, peu de mois avant de mourir. Il en a été de ce morceau comme des marbres antiques mutilés, pour lesquels la meilleure des restaurations demeure en fin de compte une profanation ; impuissants à le terminer, plusieurs musiciens allemands ont voulu le croire étranger à l'ouvrage auquel il se trouvait joint; mais le manuscrit autographe a prouvé qu'il appartenait bien à L'Art de la fugue.
Après J.-S. Bach et de son vivant même, l'abus fait par des compositeurs sans talent des formes où s'était révélé son génie rendit souvent la fugue vide et insupportable; en 1785, elle était pour Niedt un objet « d'ennui et de dégoût »; les philosophes français, J.-J. Rousseau, Chabanon, etc., restaient absolument fermés à sa compréhension, et leurs vues se perpétuaient, en France, jusqu'en Berlioz, qui la tournait en dérision dans ses partitions de La Damnation de Faust (1848), de Béatrice et Bénédict (1862), et dans plus d'une page de ses écrits. Enseignée constamment dans les Conservatoires, la fugue n'était alors envisagée que comme un exercice d'école et, tout au plus, comme une forme conventionnelle, froide et pédante, admissible dans le cadre hiératique de la musique d'église. Sa réhabilitation date du moment où furent découverts et publiés les manuscrits de Bach, renouvelées les exécutions de ses œuvres et de celles de Haendel, et pénétrées les productions de la dernière « manière » de Beethoven, dans lesquelles on aperçut combien le maître de la symphonie avait profondément médité sur la technique du style fugué et largement puisé à cette source de beauté.
Considérée dans ses lignes générales, la fugue est une composition à 2, 3, 4 parties, ou davantage, entièrement fondée sur le principe de l'imitation et dans laquelle un thème principal, ou sujet, et un ou plusieurs thèmes secondaires, ou contre-sujets, passant d'une partie à l'autre, sont exposés, développés, ramenés, divisés et combinés dans un ordre régulier, chaque voix s'imitant elle-même, et toutes les voix s'imitant entre elles. Le plan de la fugue comporte une exposition, formée par l'entrée successive de toutes les parties, la première posant le sujet, les suivantes le reprenant à distances convenues, sous le nom de réponse ; un développement, au cours duquel apparaissent de la même manière le ou les contre-sujets, choisis de façon à contraster avec le sujet, tout en se combinant avec lui; le ou les divertissements, construits sur des fragments thématiques empruntés au sujet ou aux contre-sujets, et qui s'intercalent entre eux pour les séparer et les rattacher tout ensemble; la strette, sorte de péroraison, où sont ramenées, pour conclure, les entrées et les réponses du sujet, mais sans développements et d'une façon aussi rapprochée que possible. Les fugues de grandes dimensions contiennent en outre une contre-exposition, facultative, séparée de l'exposition par un divertissement et dans laquelle les entrées et réponses du sujet sont renouvelées, dans un ordre différent. Les règles de la fugue d'école, enseignées comme couronnement des études de contrepoint, sont d'une rigueur toute spéciale et semblent transformer ce genre de composition en un agencement mécanique de formules stéréotypées; elles sont, en réalité, une gymnastique essentielle de l'esprit, propre à familiariser le musicien avec toutes les éventualités du développement thématique.
En dehors de cette catégorie créée et réglementée par les techniciens de la pédagogie musicale, on distingue dans la pratique proprement artistique de la fugue, plusieurs variétés :
- la fugue simple, où le contre-sujet est remplacé par de petits dessins contrepointiques ;
- la fugue réelle, conforme au système modal du chant ecclésiastique et qui se place, historiquement, à la première phase de culture de cette forme, est celle qui ne module pas, c'est-à-dire dont le sujet et la réponse ne contiennent pas de modulation régulière;
- la fugue tonale, au contraire, dite aussi fugue régulière, est moderne dans son essence en ce que la modulation y est essentielle, le ton du sujet servant de pivot à la chaîne des modulations qui parcourent les tons voisins, soit ceux qui ne diffèrent du ton principal que par une altération constitutive en plus ou en moins, et qui sont, avec le ton de la tonique, celui de la dominante, celui de la sous-dominante et leurs trois tons relatifs; la symétrie qui préside à l'ordonnance de ces six tonalités a fait considérer accessoirement la fugue tonale comme une construction rythmique, dont les divisions s'opposent exactement, en un équilibre parfait;
- la fugue irrégulière ou fugue libre, échappe, comme son nom l'indique, à ce joug sévère et laisse l'ordre et le nombre des modulations à la fantaisie du compositeur;
- on désigne souvent sous les appellations de fugue double ou fugue à 2 sujets, fugue triple ou à 3 sujets, fugue quadruple ou à 4 sujets, des œuvres établies sur un sujet et 2 ou 3 contre-sujets, ou qui comportent, avec le sujet initial et son contre-sujet, un second thème subordonné au premier et possédant lui-même un contre-sujet spécial.
Toutes ces distinctions dénotent la richesse de combinaisons dont la fugue est susceptible. Les traités de Fux (1725), Marpurg (1753), Fétis (1822; 2e éd., 1846), Cherubini (1835), Jadassohn (1884), E. Prout (1891), Th. Dubois (1901), A. Gedalge (t. I, La fugue d'école, s. d.) enseignent, soit spécialement, soit en suite de la théorie du contrepoint, les procédés du style fugué et de la fugue. C'est sur l'analyse des ouvrages, tant scolastiques et rigoureux que libres, des maîtres classiques italiens et allemands du XVIIIe s., et par-dessus tout de Bach, que doit s'appuyer l'étude de la fugue.
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